La mule et les trois gazelles (Aconcagua, janvier 2017)

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La mule et les trois gazelles.
Aconcagua (janvier 2017)

 

Ayant eu vent d'un projet de voyage en Aconcagua, la mule s'en allât chez ses copines les gazelles quand l'automne fut venu.
N'auriez-vous pas une petite place pour moi, leur demandât-elle, votre aventure me remettrait en selle un vieux rêve ?
On aurait pu penser que les antilopinées auraient quelques réticences à s'ouvrir à d'autres espèces, mais rien n'en fût. Elles acceptèrent très rapidement et notre équidé se sentait très vite intégré. L'agilité virevoltante des unes était compensée par la sage pondération de l'autre pour aboutir à un équilibre consensuel.

Face sud de L'Aconcagua

Chacun son rôle :
FABIEN le GO au réglage des moindres détails avec une précision susceptible de faire blêmir un horloger helvète.
YANNICK l'intendant à la gestion minutieuse des stocks.
YVON ''trouve tout'', à la manœuvre dès qu'une panne ou une avarie vient contrecarrer la bonne marche de l'expé.
CHRISTIAN la mule, qui avait quelques notions de guérisseur, se vit confier le rôle de druide.
Rarement esprit d'équipe ne fût aussi rapidement atteint.

Les gazelles avaient opté pour une organisation en autonomie, ne s'appuyant que sur l'aide ponctuelle de quelques cousines andines éloignées de notre mule.
Autant dire qu'il leur fallait soigner l'optimisation de la charge.

Trois coups d'ailes d'oiseaux métalliques et une certaine dette carbone plus loin, voici nos quatre comparses à l'entrée du parc à Horconès à 2800 mètres, deux jours après avoir décollé de St Exupéry. Il leur restait l'essentiel : les 4200 mètres restant.
Pour y arriver endurance et patience font plus que célérité et ni que rage.

Un mot d'ordre absolu : plan d'acclimatation.
Et ils se font un pallier à 3300 m (Confluenza), puis ils te montent 1100m qu'ils redescendent illico puis ils te remontent à 4300 m au CB (plaza des mulas) à J4 pour y rester 3 jours. J5 = repos. J6 : ils se font un aller retour à 5000 (camp Canada) puis ils montent à 5500 (Nido del condores) en redescendant coucher à 5000 à J7. Ensuite arrivée à 5500 à J8.

Camp2 : Nido de Condores (5500m)

Jusque là très bonne adaptation générale à l'hypoxie, des saturations en oxygène bien conformes, tout au plus un petit mal de tête rapidement enrayé par quelques potions que le druide avait emportées, car il ne pouvait pas compter sur la cueillette dans un décor aussi minéral et dépourvu de tout élément végétal.

Coup de tonnerre dans le ciel bleu : une des gazelles est décimée par un de ces microbes invisibles qu'elle devait avoir en collocation dans ses voies respiratoires et qui manifestement avait une manière particulière d'exprimer sa gratitude.

Genou à terre, plongée de la saturation, distribution de remèdes de mule et conseil de guerre.
Hors de question de poursuivre la montée, le druide restera au chevet le temps nécessaire tout en laissant l'autre binôme tenter sa chance.

J9 : Fabien et Yannick font un aller retour à 5960 (camp Cólera) tandis que c'est une ambiance hospitalo dans la Ferrino. Regonflage psychothérapique car le mano est à la baisse. En fin de journée timide sourire de retour sur le visage du malade qui, et c'est bon signe, commence à brandir sa gamelle. En quelques heures on est passé de redescente et renoncement à regard de nouveau tourné vers le sommet.

Camp3 : Plaza Cólera (5980m)

J10 : le rétablissement est rapide mais insuffisant pour recoller au programme initial. Le druide et son convalescent accompagnent les deux jeunes gazous à 5960 où ils coucheront et redescendent dormir à 5500.

J11 : c'est le jour S pour Fabien et Yannick qui avalent les 1000 mètres entre 8h et 15h pour lever les bras en V à 6962 m. A l'étage en-dessous, le malade se portant bien mieux, il est décidé de faire un aller-retour à 6100, et si ça se passe bien de tenter le sommet depuis 5500 le lendemain, soit J12, car à J13 ce ne sera plus possible en raison des vents violents.

J12 : départ à 4h40. La mule donne son tempo car celui de la gazelle n'a déjà plus rien de celui d'un convalescent. Arrivés à 6700 m, le druide se voit terrassé par la même infection qui avait fait plier son équipier quatre jours plus tôt. Il doit renoncer à moins de 100 mètres sous le but pour permettre à son compère de faire ''summit'', à une heure compatible avec une redescente de jour.
Retour laborieux à 5500, record de saturation pulvérisé vers le bas à 64% qui donne normalement droit à une place gratuite dans tout service de réanimation, remèdes de cheval et croisement de doigts pour que la nuit ne porte rien de pire que des conseils, sous l'œil inquiet d'un compagnon qui avait déjà franchi cet obstacle quelques jours auparavant.

J13 : Bien que la mule ait échappé au statut de charogne, arrivée majestueuse d'un couple de condors à 5500, moment féérique propice à un regain de motivation pour entamer la redescente dans un état de ''cuisson'' bien avancée, synonyme d'allègement de charge au détriment d'Yvon qui doit porter 30 à 35 kg. Retrouvailles au CB de l'équipe au complet, congratulations, explications et surtout satisfaction d'avoir reformé le groupe.

J14 : retour à l'entré du parc, 1500m plus bas et 26 km plus loin. Etape au refugio Cruz de Cana de la station de ski de Pénitentès. Effusion de cervoise locale pour trinquer à la réussite presque parfaite de leur expé, malgré quelques vents contraires... Seule déception : une ration calorique insignifiante eu égard à la dépense physique de la journée, et en tous cas très éloignée de ce que leurs rêves ou leurs espoirs leur avaient laissé imaginer.

J15 : Constatation qu'on ne dort pas si mal avec la faim. Retour sur Mendoza avec ses + 35° au lieu des – 20° quatre jours plus tôt. Redécouverte des légumes et de la viande d'exception et de quelques produits fermentés à base de raisins dont l'Argentine a aussi le secret.

J16 : Farniente et la mule troque les piqures contre Epicure. Elle fait des émules et les gazelles en redemandent.

J17 et 18 : retour au bercail et re-dette carbone.

Cette fable, qui n'a rien d'une affabulation, pourrait picorer sa morale en partie dans celle du lion et du rat et en partie dans celle de la grenouille et du bœuf. Il se dit surtout que la mule a pris beaucoup plus de plaisir à prendre part à la victoire des gazelles que si elle avait elle-même gravi quelques mètres de plus.
Certains y verront une forme d'altruisme médico-humaniste dégoupillonné, au beau milieu de ce brassage d'espèces et bien que la porcine n'y figure pas. D'autres pourront plus sérieusement et plus simplement parler de solidarité montagnarde qui rend infiniment plus riche que la satisfaction personnelle.
Selon un précepte bouddhiste : ce n'est pas le but le plus important, mais le chemin.
Nos quatre voyageurs garderont le souvenir d'avoir mangé un excellent gâteau, et la mule ne regrettera pas du tout la cerise qu'elle n'avait pas sur sa part. Peut-être en aura-t-elle une au bout de son prochain ... chemin?

 

La mule et les trois gazelles
FYYC

 

Les photos de Yannick : https://goo.gl/photos/gC8HTvxpZkiaCvnk9

Les photos de Christian : https://goo.gl/photos/FvVAkx85HsCwCjrW9

Extrait de La Voix de la l'Ain du 17 février 2017 «  Un Treffortin au sommet de l'Aconcagua » : https://goo.gl/photos/6tqvnwmX7oANbGwW9

Extrait du Progrès du 24 février 2017 : « Yvon Volatier a vaincu l'Aconcagua » : https://goo.gl/photos/43NWDVYnxaezExsV7

 

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